Christian David KPONDEHOU, intervenant à la TICAD 9 fin août 2025 au Japon
Vous avez représenté la jeunesse africaine à la TICAD 9. Que signifie pour vous la mention de votre nom par le premier ministre japonais à la fin de l’évènement ?
À titre personnel, participer à la TICAD 9 en tant que leader d’un réseau jeunesse et voir mon nom mentionné par le Premier ministre japonais dans son discours de clôture a été un moment profondément marquant. Ce geste symbolique reconnaît non seulement mon travail au sein de la diaspora africaine au Japon, mais aussi la vision que je porte depuis mon arrivée au Japon en 2017 : celle de changer la narration autour de l’Afrique et de créer des ponts solides entre nos deux régions.
Symboliquement, cette reconnaissance dépasse ma personne. Elle souligne que la jeunesse africaine, y compris celle de la diaspora, n’est plus seulement spectatrice mais actrice du partenariat stratégique Afrique–Japon. Avec l’Africa Diaspora Network Japan (ADNJ) et l’Africa Asia Youth Nest (AAYN), nous avons uni les voix de centaines de jeunes pour créer le Youth Agenda 2055: The Future We Want, remis officiellement au Ministre des Affaires étrangères du Japon. Le fait que le Premier ministre y fasse référence montre que les aspirations de la jeunesse africaine sont entendues au plus haut niveau.
Le Premier ministre japonais a parlé de « co-créer des solutions innovantes » dans la relation Afrique-Japon. Concrètement, comment cette co-création peut-elle se matérialiser entre jeunes africains et japonais ?
La co-création, pour moi, signifie que chacun arrive avec son expérience, ses savoirs et son identité. Lorsque des jeunes Africains et Japonais travaillent ensemble, ils peuvent imaginer des initiatives qui mêlent l’ingéniosité africaine, la résilience japonaise et les besoins réels du marché global. Concrètement, cela peut se traduire par des projets entrepreneuriaux menés en commun, des programmes universitaires ou linguistiques partagés, des innovations sociales nées du dialogue interculturel, ou encore des solutions technologiques pensées pour répondre aussi bien aux réalités africaines qu’aux contextes japonais. En d’autres termes, la co-création n’est pas une relation où l’un enseigne et l’autre apprend ; c’est une construction à égalité, portée par deux jeunesses ambitieuses qui choisissent d’avancer ensemble.
Selon vous, quels sont les domaines prioritaires pour cette co-création : technologie, formation, entrepreneuriat, culture, développement durable ?
Pour moi, la priorité doit être le développement des affaires, car il englobe l’entrepreneuriat, l’innovation et la création de valeur économique. C’est véritablement dans le cadre d’entreprises durables que les jeunes peuvent transformer leurs idées en impact concret. Cela inclut bien sûr la technologie et les compétences numériques, mais aussi l’éducation, la formation professionnelle, les industries créatives et culturelles, l’agriculture intelligente et durable ou encore les modèles économiques verts et circulaires.

J’ajouterais que la dimension culturelle est tout aussi essentielle : on ne peut pas créer ensemble si l’on ne se comprend pas. C’est d’ailleurs pour cette raison que je lance, en 2026, une école de langue japonaise à l’Université d’Abomey-Calavi, en complément des échanges que j’organise déjà depuis plusieurs années entre le Japon et le Bénin.
Quels obstacles persistent encore pour un partenariat équilibré entre l’Afrique et le Japon ?
Le principal obstacle reste le décalage de perception. Certains acteurs se placent encore dans une logique d’assistance, tandis que d’autres se considèrent comme receveurs. Cette vision est dépassée. L’Afrique est un continent jeune, puissant et riche en ressources humaines, naturelles et intellectuelles. Le Japon, quant à lui, a une expertise exceptionnelle en résilience, en innovation et en industrialisation. Un partenariat équilibré exige de reconnaître que chaque côté a énormément à apporter et à apprendre de l’autre.
La TICAD 9 a mis un accent fort sur la jeunesse et les femmes. Quelles recommandations en sont ressorties et comment les jeunes peuvent-ils s’en saisir ?
Les recommandations phares de la Déclaration de Yokohama mettent surtout l’accent sur la mise en œuvre des agendas WPS (Femmes, Paix et Sécurité) et YPS (Jeunesse, Paix et Sécurité). Elles rappellent aussi le rôle déterminant que jouent les femmes et les jeunes dans la prévention des conflits, la consolidation de la paix et la résilience face aux crises. Un autre point essentiel concerne l’importance d’exploiter pleinement le « dividende démographique » africain en investissant dans les compétences, l’éducation et l’emploi décent. Ensemble, ces recommandations appellent à reconnaître la jeunesse non plus comme un groupe bénéficiaire, mais comme un véritable partenaire stratégique du développement.
Quels leviers concrets faut-il mobiliser pour que les jeunes Africains deviennent des acteurs et non des bénéficiaires des politiques de coopération ?
Pour que les jeunes Africains deviennent de véritables acteurs du développement, trois leviers me semblent essentiels. D’abord, il faut transférer une partie du pouvoir décisionnel en intégrant les jeunes de manière structurelle dans les espaces où se conçoivent les politiques, les budgets et les stratégies. Ensuite, il est nécessaire de créer de vrais écosystèmes favorables à l’entrepreneuriat : il ne suffit plus de proposer des formations ponctuelles, il faut des plateformes complètes où les jeunes peuvent tester leurs idées, trouver du financement et développer leurs projets. Enfin, nous devons former la jeunesse en fonction des opportunités réelles du marché, en priorisant les compétences numériques, les métiers verts, l’agro-industrie et les filières techniques qui répondent aux besoins actuels et futurs de nos économies.
Pensez-vous que la diaspora africaine au Japon peut jouer un rôle moteur dans cette dynamique ? Si oui, comment?
Oui, absolument, et la diaspora africaine au Japon joue déjà un rôle important. À travers ADNJ, nous avons construit une vision claire de la coopération jeunesse, formulée dans le Youth Agenda 2055. Ce document propose une architecture solide composée d’un Youth Board, d’une Youth Foundation et d’une conférence annuelle codirigée par des jeunes Africains et Japonais. La diaspora est stratégique dans cette dynamique : elle comprend les deux réalités, maîtrise les deux univers culturels, et sait transformer les besoins identifiés en véritables opportunités de collaboration.
En tant que fondateur d’initiatives comme Africa Diaspora Network Japan, quelles sont vos prochaines étapes après la TICAD 9?
L’année 2025 a été particulièrement riche: nous avons connu le succès de PANAF’ à l’Expo Osaka 2025, l’impact de la Youth TICAD Initiative, et un élargissement significatif de notre réseau Afrique–Japon. Les prochaines étapes s’inscrivent dans cette dynamique. Nous souhaitons d’abord étendre l’Osaka Africa Business Forum en accueillant davantage d’entrepreneurs africains et en organisant une semaine complète d’échanges B2B avec des entreprises japonaises. Nous allons également renforcer nos projets éducatifs, notamment avec le lancement de l’école de japonais au Bénin et le développement de programmes d’échanges culturels et de séjours d’études. En parallèle, nous continuerons à consolider les plateformes jeunesse à travers la mise en œuvre du Youth Agenda 2055.
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